Rat d'art !
Un texte écrit il y a déjà quelques temps, que j'ai eu envie de mettre en résonance avec le dessin de Philippe Lemarinier, dont vous pouvez découvrir les œuvres sur le lien ci-joint.
Fran Nuda
http://www.lemarinier.weonea.com/
dessin de Philippe Lemarinier
Il se
rêvait petit rat d'Opéra quand il n'était qu'un pauvre petit rat d'égout. Des
goûts, il en avait, notamment pour la danse, la musique et les mots. Comment
était-ce possible, lui qui n'était qu'un tout petit rat gris, ordinaire et
solitaire ? Mystère de la vie qui fait fi des conventions comme des
expressions. Expressions usitées par les humains à propos de cette race dont
ils ne voulaient pas : le rat !
Alors,
devant tant de haine humaine, le rat déserta son habitat. De dédale en dédale,
il se retrouva, un beau matin, dans de bien vilains draps. Coincé entre deux
livres énormes, il ne put que se pencher sur cette écriture qui lui tendait les
bras. De lettre en lettre, de mot en mot, il déchiffra, puis feuilleta, une à
une, les pages d'un livre, puis, celles d'un autre, puis, encore celles d'un
autre…
A ce
rythme-là, il s'épuisa mais découvrit, aussi, un autre monde que le sien. Il
s'étonna de cette immensité recouverte d'écrits variés, où forme et fond
différaient, où les thèmes si divers le charmaient ou bien le barbaient. Il
décida d'aller plus avant, piqué par une curiosité sans borne. Il avança, de
couloir en couloir, et arriva dans une salle coquette où d'autres rats, comme
lui, restaient penchés sur ce que, lui, appelait, désormais, ses trésors,
c'est-à-dire, les livres.
Des livres
de toutes sortes semblaient maintenir l'esprit de ces rats de bibliothèque
obnubilés par ce qui y était dit. Le petit rat gris qui se rêvait petit rat
d'Opéra, les fixa de ses petits yeux malins, et leur cria être, lui aussi, des
leurs. Leurre, c'est ce qu'ils pensèrent aussitôt, tous ces humains, de
nouveau, les yeux et l'esprit penchés sur leur livre. Mais, de nouveau, être un
rat de bibliothèque, il décréta. Mais, de nouveau, aussi, on le sous-estima, et
de lui, on se moqua, puis, on le chassa.
Il se
rêvait petit rat d'Opéra et il opéra. Il laissa les années s'écouler et observa
cette race moitié Rat, moitié Homme, qu'il côtoya, dans l'ombre, attentif à
tous leurs agissements, restant toutefois prudent car ils les savaient aussi
dangereux que la peste dont, d'ailleurs, ils l'accusaient, depuis la nuit des
temps. Alors, bien que fait comme un rat, il se libéra de leur emprise
mortifère, lui, le petit rat gris, solitaire mais de moins en moins ordinaire.
Et puis un jour, il se métamorphosa.
Las de ce
long combat, il cessa de vouloir quoi que ce soit.
« Ras-le-bol ! » se dit-il car, de plus en plus, il usait du
langage humain pour manifester ses émois. Il remarqua la présence d'un autre
« ras » qu'il ne connaissait pas. Féru en la matière, il nota donc
bien la différence orthographique qui l'obligea à réfléchir à cette expression
dont les humains usaient, voire même, abusaient, pensait-il. Car le petit rat
gris solitaire mais, désormais, en quête d'une terre, de plus en plus,
réfléchissait, cherchant ce qui, dans l'Homme, pouvait se refléter du Rat que
tous les humains, de façon quasi unanime, ne cessaient, pourtant, de fuir ou de
détruire.
Il réfléchit
et découvrit que ce ras-là n'avait
rien à voir avec toutes les autres formes de rat dont lui-même était issu. Bien
que métamorphosé, il restait fidèle à ses racines, n'oubliait jamais combien il
avait été gueux comme un rat d'église, même si, depuis, il s'était enrichi de
mots et d'expressions qui lui ouvraient les portes du savoir humain. Sa pensée
était devenue aussi tranchante que ses dents de rat d'antan.
Des
ras-le-bol, il en avait de plus en plus mais celui-ci dépassait sa capacité à
endurer son destin tragique qui l'obligeait, depuis tant d'années, à errer,
dans le monde incertain des humains qui, toutefois, se croyaient bien malins,
au point d'avoir transformé cette race, à leurs yeux, maudite, en animal de
laboratoire, ou, à leurs yeux, bénite, en animal domestique. Dans les deux cas,
le Rat y perdait son âme et de cela, il lui faudrait témoigner pour sauver ses
frères qu’il n'avait jamais oubliés.
Lui vint à
l'esprit, dans un éclair vif et soudain, le rêve perdu, celui de devenir un
petit rat d'Opéra. Dans les méandres de l'esprit humain où les livres l'avait
plongé, il en avait oublié son rêve à lui, petit rat gris, alors ordinaire et
solitaire.
Ras-le-bol
de toutes ces histoires racontées par les humains à l'encre de leur âme, à eux.
Il lui fallait, à son tour, donner corps à sa pensée, lâcher prise sur toutes
ces expressions qu'ils avaient fabriquées à partir de sa personne car, il
savait désormais que, lui, le Rat, certes, qu'il resterait, n'en était pas
moins une personne comme les autres, digne de respect et d'intérêt. Pourquoi,
sinon, l'Homme, à ce point, sur lui, se serait-il penché ? Voilà la question
qui occupait, de plus en plus, l'esprit du petit rat gris, de moins en moins
solitaire, de moins en moins ordinaire, car de plus en plus spectaculaire.
Déterminé
à montrer sa véritable nature, il fit face aux humains. Il se mit à avoir de
plus en plus de rats dans la tête. Il inventait, écrivait, dessinait, peignait,
chantait, dansait, s'exposait, au regard de ceux qui, autrefois, l'avaient
banni de leur terre. Il mettrait fin à toutes ces légendes, concernant tous les
siens, légendes qui n'avaient ni queue ni tête, alors que ceux de sa race en
étaient, eux, si bien pourvus. Il donnait à voir le fruit de son imagination
débordante, de sa fantaisie sans limite, de son intelligence enfin reconnue par
qui le méprisait tant, du temps où il découvrait ce que les humains appelaient
la Culture.
Non sans
humour dont il était largement pourvu, il était devenu, à l'insu de ses
détracteurs, un attribut incontournable de leur culture. Il lui avait suffi de
changer l'ordre des deux premières lettres de son nom pour devenir autre,
multiple et recherché, devenir l'Art et non plus le Rat. Il lui avait suffi
d'user de ce petit subterfuge pour tromper la vigilance de l'Homme, le
manipuler dans ce qu'il disait lui être propre, c'est-à-dire, le langage.
Ainsi, il
a suffi de la détermination d'un petit rat gris ordinaire et solitaire, qui se
rêvait petit rat d'Opéra, il a suffi de son intelligence indiscutable, pour que
se démocratise ce qui existe depuis la nuit des temps et dont l'Homme, jamais,
n'a pu se défaire tant il a besoin de cette dimension symbolique de son être
que représente l'Art, sous toutes ses formes, sous toutes les latitudes, ici et
ailleurs, partout sur la terre.
Il est un
don latent, en chacun, qui attend que le petit rat d'égout cesse son manège et
laisse enfin place à ce qui le dépasse et que l'on nomme l'Art qui l'aidera à
devenir ce qu'il est au plus profond de son être, car l'Art n'appartient à
personne, il traverse nos corps et nos esprits, si tant est qu'on saisit cet
instant fugace de l'expression qui cherche un chemin et nous traverse. Un
temps. Un temps à prendre pour mieux se livrer à cette expression universelle
qui sonne et résonne en chaque être vivant, si décrié soit-il, et qui forme le
son incommensurable du monde.
Fran Nuda
Une excellente histoire qui sied bien au dessin de Philippe Lemarinier.
RépondreSupprimermerci beaucoup de nous le dire... j'ai trouvé aussi que les deux se mariaient bien ensemble même s'ils ont été réalisés indépendamment l'un de l'autre et à des époques différentes qui plus est...
SupprimerTres émouvant ce petit rat conteur qui vit une histoire rocambolesque,plein de surprises avec ce ton de vérité si bien écrit par Fran tu as su me faire voyager a travers ce conte en compagnie de ce petit rat et magnifiquement illustré par le dessin de Philippe
RépondreSupprimerLemarinier dont j apprécié ses dessins humoristiques!
A tous les deux bravo
Merci Lyly de nous donner à lire ton ressenti... chacun de nous peut être ce petit Rat... conteur ou Rat d'opéra... il suffit d'opérer, tout simplement...
SupprimerEncore plus chouette avec l'image ! Bien contente de voir ce texte que j'avais apprécié dans les premiers posts de ce blog !!
RépondreSupprimerAh merci beaucoup ! Oui, l'artiste dessinateur a beaucoup de talent et ce dessin, ici, trouve naturellement sa place.
Supprimerquelle belle façon de donner un sens à l'Art !!!!..... nous sommes tous des petits rats :)
RépondreSupprimerExactement ! Merci de m'avoir lue...
SupprimerL’Art est un vaste mot ... on y met tout corps, âme, coeur ou rien 😃
RépondreSupprimerMais tu as raison il ne nous appartient pas , réceptifs ou pas, il nous traverse et continue son chemin, le temps n’a pas de mise ...
merci pour cette analyse la cop
Quant aux illustrations de notre ami Philippe , rien à ajouter tout y est croqué et tellement bien.
😘😘
Merci merci tu maîtrises le sujet aussi bien que notre ami Philippe😘😊
SupprimerQuel texte !!! J'ai adoré du premier au dernier mot. Parfois ça me faisait penser à du Boris Vian avec Colin dans l'écume des jours. J'ai réellement apprecie6et aimé. Merci Fran.
RépondreSupprimerBigre... Je te sais toujours sincère mais là, Boris Vian, Colin... Tu fais grand honneur ! Relativisons naturellement mais Boris. Ian m'a accompagnée une bonne partie de ma jeunesse... Merci Gilles
SupprimerQuelle belle histoire ce petit rat qui nous conte l'histoire de l'art tout en remettant l'humain un tant soit peu à sa place. Toujours un excellent mariage avec l'illustration de Philippe. Bravo à vous deux
RépondreSupprimerMerci Nicole de venir rendre visite à ce petit Rat d'Art😘😍
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