L'art du portrait, Doisneau, HBC, Filip van der Cruyssen et Camille Laurens, Cet absent-là, extrait
J'ai
croisé les regards de deux photographes avec un extrait du livre de
Camille Laurens qui interroge l'absence, à travers le portrait, la
photographie ; j'y joins aussi ce portrait de Filip van der Cruyssen, en
écho au texte.Et comment ne pas citer ici Colette : " Le visage fut mon plus parfait paysage "
Fran Nuda
Flaubert écrit cette page au moment où naît à peine, après les daguerréotypes, la photographie.
Or il y a pour moi une sorte de parenté intime entre cette technique et l'expérience de l'amour - en tout cas dans l'art du portrait. Il faut de l'amour pour saisir un visage, l'amour est ce qui rend visible. Et qu'est-ce qui nous intéresse, à part être sous le regard ? Qu'est-ce qui nous blesse, sinon la transparence où nous sommes laissés ? Rien ne nous manque jamais que la foi des visionnaires et le don du visage : si nous pouvions seulement, ne serait-ce qu'une fois, céder au mystère de l'apparition - si nous pouvions oser ce geste mystique et fou : croire nos yeux. Qu'est-ce qu'être aimé, dis-le moi, sinon apparaître - je suis là, regarde-moi -, apparaître, oui, être à part.
Camille Laurens, cet absent-là, extraits :
" Le visage est un puits sans fond dont on s'épuise à tirer une eau claire, on est comme un enfant qui voudrait faire tenir la mer dans un verre. Le visage n'a pas de sens, il n'a que des secrets, c'est indéchiffrable, même nu, même offert - c'est alors un livre ouvert en langue étrangère oubliée, si quelqu'un l'a sue il en a brûlé le dictionnaire. Tu t'échappes par ton visage, je le sais bien, c'est par là que ça s'en va, que ça s'évade ; te regardant présent, te recherchant absent, c'est toujours pareil. J'ai beau te rappeler à moi, rien n'y fait : les traits les mieux dessinés sont des lignes de fuite."
Voir aussi sur ce blog, à propos du portrait :
Livre de Yvon Kervinio : Au fond de nos yeux #4
Yvon Kervinio, photographe de la poésie de la vie
Portraits de Bretagne, E. Lhotelier, édition Y.Ker...
Fran Nuda
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Filip van der Cruysse, photographe |
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Henri Cartier Bresson, photographe |
On se souvient comment Flaubert ouvre la rencontre entre Frédéric Moreau et Mme Arnoux dans l’Éducation sentimentale - par cette phrase qui concentre en elle toute la foudre amoureuse, son épiphanie : ''Ce fut une apparition.''
L'objet
aimé - l'objet, c'est-à-dire l'obstacle, ce qui stoppe la course
négligente des yeux, ce qui est littéralement jeté là pour capter le
regard - l'objet aimé apparaît comme Dieu dans l'Ancien testament, nimbé
d'une lumière glorieuse, inconnue.
L'éblouissement
est aussi un ébahissement : on n'a jamais vu ça. Puis le regard
accommode, l'apparition prend forme et se fait apparence, l'auréole
floue devient découpe folle, on n'a plus d'yeux que pour elle.
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Robert Doisneau, photographe |
Flaubert écrit cette page au moment où naît à peine, après les daguerréotypes, la photographie.
Or il y a pour moi une sorte de parenté intime entre cette technique et l'expérience de l'amour - en tout cas dans l'art du portrait. Il faut de l'amour pour saisir un visage, l'amour est ce qui rend visible. Et qu'est-ce qui nous intéresse, à part être sous le regard ? Qu'est-ce qui nous blesse, sinon la transparence où nous sommes laissés ? Rien ne nous manque jamais que la foi des visionnaires et le don du visage : si nous pouvions seulement, ne serait-ce qu'une fois, céder au mystère de l'apparition - si nous pouvions oser ce geste mystique et fou : croire nos yeux. Qu'est-ce qu'être aimé, dis-le moi, sinon apparaître - je suis là, regarde-moi -, apparaître, oui, être à part.
Camille Laurens, cet absent-là, extraits :
" Le visage est un puits sans fond dont on s'épuise à tirer une eau claire, on est comme un enfant qui voudrait faire tenir la mer dans un verre. Le visage n'a pas de sens, il n'a que des secrets, c'est indéchiffrable, même nu, même offert - c'est alors un livre ouvert en langue étrangère oubliée, si quelqu'un l'a sue il en a brûlé le dictionnaire. Tu t'échappes par ton visage, je le sais bien, c'est par là que ça s'en va, que ça s'évade ; te regardant présent, te recherchant absent, c'est toujours pareil. J'ai beau te rappeler à moi, rien n'y fait : les traits les mieux dessinés sont des lignes de fuite."
Voir aussi sur ce blog, à propos du portrait :
Livre de Yvon Kervinio : Au fond de nos yeux #4
Yvon Kervinio, photographe de la poésie de la vie
Portraits de Bretagne, E. Lhotelier, édition Y.Ker...
Instant bonheur à la découverte de ce post, de quoi bien démarrer la journée. Les textes tellement beaux, beaucoup de vérités. Sensible au beaux portraits, autant en peinture qu'en photo, celui qui parle qui vit et non les plastiques parfaites de ces dernières années où tout est parfait mais aussi sans vie et qu'une partie de nos congénères adulent. Merci pour ce partage
RépondreSupprimerMerci Nicole, nous sommes d'accord, je vois😘😊😍
SupprimerLobjet, l'être aimé... oui le portrait est le reflet de l'amour, il doit ressortir au travers de la photographie, de la peinture, de l'écriture. L'amour doit être le moteur du portrait. Sans amour pas de portrait. Sans Amour il n'y a rien. Juste une coquille vide, sans âme. Merci Fran pour ton blog. J'ai véritablement aimé cette publication.
RépondreSupprimerTrès heureuse de ce " véritablement"😘😊😍
SupprimerLe portrait , vaste sujet , très bien abordé dans ces textes .
RépondreSupprimerLe portrait est une carte , il faut savoir le lire, chaque détail vaut un détour , tout y est indiqué . On y voit le passé , le présent et déjà presque l’avenir.
En photo , les plus doués savent capter en 1 seconde , une expression qui nous ouvre entièrement la personne . Juste un déclic et tout y est dit .
Merci Fràn . 😘
Un sujet que tu connais bien pour savoir superbement le traiter en peinture, preuve en est déjà sur ce blog mais affaire à suivre, aussi😘😊😍
Supprimer💚
SupprimerAh le portrait... un exercice si difficile... comment retranscrire une émotion par définition figée...
RépondreSupprimeralors que le visage et le regard sont si mobiles .....tout est là ! Merci Fran encore pour cette évocation si réussie...
C'est très huste et complète bien cette publication ce que tu dis là... Les lignes de fuite...😘😊😍
SupprimerLe portrait, le vrai portrait , tout l art de mettre en valeur la personnalité, l âme de la personne. Il faut sûrement avoir un don pour s approprier cette âme et la retranscrire en un clic! C est le don de l amour selon Flaubert!!
RépondreSupprimerUne question m interpelle, peut-être question bête, mais le photographe fera t il la même photo si son âme est triste ou gaie ?
Excellente question, merci Martine et qui de nouveai vient compléter cette publication. Tout l'art de la photograpvie est là... Saisir dans la focale l'autre dans l'oubli de soi, voilà ce que je repondrais s'il devait y avoir une réponse mais comme bien souvent c'est la qurestion qui est intéressante, pas la réponse. Merci Martine.😘😊😍
SupprimerTa réponse me convient parfaitement !! ����
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